Bachelard

G. Bachelard « La formation de l’esprit scientifique » 1938

La connaissance du réel est une lumière qui projette toujours des ombres. Elle n’est jamais immédiate et pleine… En fait on connaît contre une connaissance antérieure, en détruisant des connaissances mal faites, en surmontant ce qui, dans l’esprit même, fait obstacle à la spiritualisation […]  Il est alors impossible de faire d’un seul coup table rase des connaissances usuelles… Quand il se présente à la culture scientifique, l’esprit n’est jamais jeune. Il est même très vieux, car il a l’age de ses préjugés. Accéder à la connaissance, c’est, spirituellement, rajeunir, c’est accepter une mutation brusque qui doit contredire un passé […] 

L’esprit scientifique nous interdit d’avoir une opinion sur des questions que nous ne comprenons pas, sur des questions que nous ne savons pas formuler clairement. Avant tout, il faut savoir poser des problèmes. Et quoi qu’on dise, dans la vie scientifique, les problèmes ne se posent pas d’eux-mêmes. C’est précisément ce sens du problème qui donne la marque du véritable esprit scientifique. Pour un esprit scientifique, toute connaissance est une réponse à une question. S’il n’y a pas eu de question, il ne peut y avoir connaissance scientifique. Rien ne va de soi, rien n’est donné, tout est construit […]                              

G. Bachelard  « La formation de l’esprit scientifique »

Quand on cherche les conditions psychologiques des progrès de la science, on arrive bientôt à cette conviction que c’est en terme d’obstacles qu’il faut poser le problème de la connaissance scientifique. Et il ne s’agit pas de considérer des obstacles externes, comme la complexité et la fugacité des phénomènes, ni d’incriminer la faiblesse des sens et de l’esprit humain : c’est dans l’acte même de connaître, intimement, qu’apparaissent, par une sorte de nécessité fonctionnelle, des lenteurs et des troubles.       

G. Bachelard  « Psychanalyse du feu » 1949

Il suffit que nous parlions d’un objet pour nous croire objectifs. Mais par notre premier choix, l’objet nous désigne plus que nous ne le désignons et ce que nous croyons nos pensées fondamentales sur le monde sont souvent des confidences sur la jeunesse de notre esprit. […] l’évidence première n’est pas une vérité fondamentale. En fait, l’objectivité scientifique n’est possible que si l’on a d’abord rompu avec l’objet immédiat, si l’on a refusé la séduction du premier choix, si l’on a arrêté et contredit les pensées qui naissent de la première observation.                                                                           

 G. Bachelard  « La formation de l’esprit scientifique »

La science , dans son besoin d’achèvement s’oppose absolument à l’opinion. S’il lui arrive pour une raison quelconque de légitimer l’opinion, c’est pour d’autres raisons que celles qui fondent l’opinion ; de sorte que l’opinion a, en droit, toujours tort. L’opinion pense mal, elle ne pense pas : elle traduit des besoins en connaissances. En désignant les objets par leur utilité elle s’interdit de les connaître. On ne peut rien fonder sur l’opinion, il faut d’abord la détruire. Elle est le premier obstacle à surmonter.    

 

G. Bachelard  « Le nouvel esprit scientifique »  1934

En réalité il n’y a pas de phénomènes simples ; le phénomène est un tissu de relations. Il n’y a pas de nature simple, de substance simple ; la substance est une contexture d’attributs. Il n’y a pas d’idée simple parce qu’une idée simple, comme l’a bien vu M. Dupréel, doit être insérée, pour être comprise, dans un système complexe de pensées et d’expériences. L’application est complication. Les idées simples sont des hypothèses de travail, des concepts de travail, qui devront être ré-visés pour recevoir leur juste rôle épistémologique. Les idées simples ne sont point la base définitive de la connaissance ; elles apparaîtront par la suite dans un tout autre aspect quand on les placera dans une perspective de simplification à partir des idées complètes.

 

 

G. Bachelard  « Le nouvel esprit scientifique » 

Déjà l’observation a besoin d’un corps de précautions qui conduisent à réfléchir avant de regarder, qui réforment du moins la première vision, de sorte que ce n’est jamais la première observation qui est la bonne. L’observation scientifique est toujours une observation polémique ; elle confirme ou infirme une thèse antérieure, un schéma préalable […]. Naturellement, dès qu’on passe de l’observation à l’expérimentation, le caractère polémique de la connaissance devient plus net encore. Alors il faut que le phénomène soit trié, filtré, épuré, coulé dans le moule des instruments, produit sur le plan des instruments. Or les instruments ne sont que des théories matérialisées. Il en sort des phénomènes qui portent de toutes parts la marque théorique.