Commentaires sur « Le centre du monde »

 

 

Je pense que la formation scientifique doit être un lieu polémique. L’histoire des sciences, ses ruptures, peuvent être travaillées en ce sens. Dans l’atelier proposé ici c’est la question du « Centre du monde » qui est mise en jeu. Je l’ai exploitée avec des élèves de niveau Terminale scientifique ainsi qu’en stage de formation.

1 – Enjeux épistémologiques

Il revient à Thomas Khun d’avoir exploré les mécanismes des révolutions scientifiques et mis à jour le concept de paradigme. C’est l’ensemble des connaissances préalables qui fournissent aux chercheurs le cadre des problèmes à poser et les modalités de leur résolution. Des visions du « monde », des principes métaphysiques, les sous tendent. L’histoire des sciences connaît donc des ruptures qui s’opèrent par un changement radical dans la conception du monde. Non seulement les objets de connaissance en ressortent transformés mais les procédures de construction des connaissances sont elles-mêmes bouleversées.

L’exemplarité de la « révolution copernicienne » : la question du Centre du monde.

Le paradigme hérité d’Aristote, la Terre immobile au Centre du monde, était conforme au sens commun et en cohérence avec les conceptions religieuses et métaphysiques dominantes. En astronomie, le système géocentrique de Ptolémée rendait compte des observations avec succès : sa complexité inépuisable de mouvements emboîtés permettait les ajustements nécessaires. Mais c’est cette complexité croissante qui amène les astronomes du XVIème siècle, dont Copernic, à douter de la validité du système. 

Un nouveau coup est porté au paradigme aristotélicien lorsque, quelques année plus tard, Galilée prétend voir des montagnes sur Lune : le monde supra-lunaire n’aurait donc pas la perfection supposée alors. Lorsqu’il découvre les quatre « planètes médicéennes » gravitant autour de Jupiter c’est l’idée même de Centre du monde qui est atteinte…

Mais ce n’est pas seulement un réajustement des conceptions astronomiques : Alexandre Koyré à bien montré qu’il s’agissait de la destruction d’un cosmos clos, hiérarchisé et ordonné au profit d’un univers indéfini. C’est du même coup « le rejet par la pensée scientifique de toutes considérations basées sur les notions de valeur, de perfection, d’harmonie, de sens ou de fin… ». On remarquera aussi que cette rupture coïncide avec des transformations profondes des structures sociales et économiques et des mentalités.

La science devient alors la recherche de lois à prétention universelle. Il s’agit comme l’indiquent Stengers et Prigogine « du projet de faire avouer d’un seul coup sa vérité à la nature, de découvrir le point de vue d’où, d’un seul coup d’œil dominateur, on peut la contempler, offerte et sans mystère ». Ainsi le système de Newton, avec ses lois de description des mouvements et des interactions, imposera pendant deux siècles le cadre de l’élaboration scientifique « normale » : les modèles convenables, les bonnes questions à se poser, les procédures expérimentales opératoires… Jusqu’à ce que les effets polémiques de la construction scientifique induisent de nouvelles ruptures.  

Le centre du monde toujours en question.

Nous observons quotidiennement le Soleil se lever à l’est et se coucher à l’ouest ; nous observons sans doute beaucoup plus rarement les mouvements planétaires dans leur durée. Pourtant nous pensons avoir bien intégré l’idée que notre position mouvante n’était plus celle d’un Centre immobile.

La démarche proposée dans cet atelier prétend remettre en question cette certitude. Elle cherche l’étonnement que peut susciter une autre façon de « regarder », à partir d’une proposition apparemment paradoxale : « nous avons bien que la Lune tourne autour de la Terre, et pourtant la force d’attraction du Soleil sur la Lune est plus forte que celle de la Terre ».

2 – Enjeux pédagogiques

Dans le domaine de l’enseignement des sciences.

– L’étude des mouvements, leur modélisation, sont au cœur des programmes des sections scientifiques du Lycée. La démarche proposée ici peut constituer une amorce à un  travail de construction des concepts de la mécanique newtonienne, en particulier de la relativité galiléenne.

–  Cette démarche permet également d’engager la réflexion épistémologique comme élément à part entière de la formation : en quoi la connaissance scientifique est en rupture avec le « sens commun » ; comment s’élaborent les concepts scientifiques et leur validation ; quels sont les statuts de l’observation et de l’expérimentation…

Dans le rapport pédagogique en général.

– Avec les élèves comme avec les adultes (qu’ils soient de formation scientifique ou non) j’ai constaté que cette démarche provoque les  « troubles » suffisants pour mettre au feu de la critique quelques certitudes : n’est ce pas l’un des moteurs de ce qu’on appelle usuellement la motivation ? Elle induit aussi des interrogations sur les concepts et leurs relations  (force, masse, vitesse…) : c’est l’amorce du processus de la construction scientifique.