Aurélien Barrau

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11 oct. 2017. Rencontre animée par Cléo Schweyer, journaliste scientifique et chargée de médiation scientifique à l’Université Lyon 1, se déroulant à la bibliothèque municipale de Lyon.

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Il y a une raison simple pour laquelle la science peut légitimement jouir d’un certain respect dans notre société. Je dis bien respect et non pas primat : les arts et la littérature devraient, à mon sens, être intensément réhabilités, en particulier à l’école où ils pourraient jouer un rôle essentiel qui leur est hélas aujourd’hui confisqué. Toute velléité hégémonique de la démarche scientifique est à proscrire. Mais la raison qui confère donc, je crois, une sorte de respectabilité méritée aux gestes scientifiques, tient à ce qu’ils s’articulent à une pensée authentiquement dynamique. Tout est toujours sujet au doute. Tout peut être remis en cause et, dirais-je, tout doit l’être. Rien n’est acquis. Rien n’est sacré. Rien n’est intouchable. Aucun dogmatisme sévère n’y est toléré. En tout cas, aucun ne résiste à la pression de la découverte et du renouveau. La science (et elle ne s’oppose d’ailleurs en rien à l’art sur ce point) est comme intrinsèquement fragile.

Une équipe de physiciens du CERN a annoncé il y a quelques années la détection de neutrinos se propageant plus vite que la lumière (l’article publié était, il faut le noter, infiniment plus prudent que ce que les médias télévisés en ont relayé). Deux ou trois mois seulement après cet événement – au sens médiatique autant que scientifique car il est rare qu’une avancée scientifique soit relayée au journal de 20 heures ! – ils annonçaient une erreur dans les mesures. Voilà peut-être ce qui caractérise la science : il est possible de dire, et de dire la tête haute, « je me suis trompé ». Qui a déjà vu un politicien, un théologien ou un financier proclamer, après avoir bénéficié des feux de la rampe, « je me suis trompé » ? Un scientifique peut non seulement sans honte reconnaître son erreur, mais cela fait même partie de ce qui fonde la scientificité de son approche. La certitude, en science, n’existe pas.

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Il faut ici faire une remarque essentielle. Du point de vue pratique, il est possible de considérer que chaque nouveau modèle s’approche un peu plus d’une description idéale et que, au fur et à mesure des avancées, les différences entre les prédictions des modèles et les données expérimentales deviennent très minces. En ce sens purement technique, les modèles tendent vers la vérité. Mais du point de vue ontique – c’est-à-dire quant à la nature des êtres décrits, ce qui compte quand on pense par-delà les applications – c’est impossible ! Chaque nouveau modèle remplaçant la proposition précédente est en fait une révolution totale. Chaque nouveau modèle est absolument différent du précédent. Décrire le mouvement d’un corps céleste avec les équations d’Einstein à la place de celles de Newton est (dans la plupart des cas) une infime amélioration du point de vue de la précision qui était déjà excellente dans l’approximation newtonienne. Mais, du point de vue de la description fondamentale du monde, c’est une révision totale et absolue, pas du tout une petite modification. Chez Newton, la Terre tourne autour du Soleil parce qu’une force l’attire et lui impose cette orbite quasi-circulaire. Chez Einstein, la Terre n’est soumise à aucune force. Elle avance en ligne droite dans l’espace courbé par la présence du Soleil. Ça n’a rien à voir ! Les objets et concepts en jeu sont tout autres. De même quand on passe d’une particule ponctuelle classique à un objet – disons une fonction d’onde – quantique. Il est par conséquent très délicat d’imaginer qu’il soit possible de se rapprocher d’une vérité ultime puisque toute révolution scientifique – et, naturellement, une nouvelle est toujours à venir – s’accompagne d’une redéfinition totale du réel. Toute nouvelle image du monde est, pourrions-nous dire, arbitrairement éloignée de celle qu’elle supplante. Comment pourrait-on donc se « rapprocher » du vrai alors même que chaque rupture entraîne une vision infiniment distante de la précédente et tout aussi infiniment distante de la suivante ? Les prédictions sont évidemment de plus en plus précises et adéquates, mais il me semble tout à fait dénué de sens de considérer que le contenu conceptuel de la théorie converge vers la vérité puisque chaque changement de paradigme effondre entièrement la vision précédente, idée qui fait écho à quelques aspects de la philosophie de Thomas Kuhn, épistémologue américain du XXe siècle. Cette simple remarque effrite toute velléité à considérer sérieusement que la science est intrinsèquement vraie.

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